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Dép. féd. enviro., transp., énerg., comm

Le soleil, la lune, l'amour et l'automobile

Genève (ots)

Allocution prononcée par M. Moritz Leuenberger, président de la
Confédération, lors de l'ouverture du 71e Salon de l'Automobile
Mesdames et Messieurs,
Chères voitures,
Etymologiquement, " automobile " veut dire "qui se
meut de soi-même ". Le salon de l'automobile - en allemand
Automobilsalon - pourrait donc se présenter comme "le salon qui se
meut de lui-même ".
L'automobile : une création linguistique multiculturelle
On m'avait appris, lorsque j'étais élève, que le mot " automobile
" était incorrect - et donc condamnable - parce qu'issu d'un
croisement illégitime entre deux mots de langues différentes : la
racine grecque " auto " et le vocable latin " mobilis ". La forme
correcte, non dénaturée, devait être, me disait-on, " ipsomobile ",
ou encore " autociné ". Mais ce dernier terme évoque entre-temps le
cinéma en plein air que le spectateur apprécie assis dans sa voiture
!
Quant à " Automobilsalon " - qui, en allemand, fait un emprunt à
une troisième langue puisque " salon " vient du français -, ce mot
aurait été inconcevable pour mon vieux professeur ! Il se serait sans
aucun doute appliqué à faire entrer dans nos esprits la forme
correcte, en allemand, "der Kraftfahrzeugausstellungsraum ",
autrement dit "la salle d'exposition de véhicules à moteur " !
De la même façon, peut-être, mon professeur tiendrait aujourd'hui,
s'il était de langue française, à substituer " véhicule à quatre
roues motrices " à " quatre-quatre " Quel bonheur de penser
multiculturel!
Je peux ainsi vous accueillir avec une formule sortie de la Tour
de Babel en vous disant : " Willkommen au Salon de l'Automobile ! ".
L'automobile : notre amour
Quand une chose se meut d'elle-même, sans intervention humaine,
quand elle est animée d'un mouvement spontané, un peu comme le
soleil, comme la lune ou comme l'amour, elle devient forcément objet
de fascination, objet de culte, objet culturel. Il est donc
parfaitement naturel que nous admirions l'automobile, que nous
l'aimions, que des chansons la célèbrent, qu'elle devienne objet
d'art entre les mains des créateurs, que le "car" devienne "castle".
Il est naturel que le deuxième mot que la plupart des enfants savent
dire après " maman " soit " auto " - et cela presque dans le monde
entier.
Il est naturel que, mû par son besoin de se déplacer et de se
déplacer vite, mû par ce rêve du géant aux bottes de sept lieues qui
fit son bonheur d'enfant, l'homme fasse de l'automobile un objet
d'amour.
Le Conseil fédéral aime lui aussi l'automobile : son président ne
vient-il pas chaque année au Salon depuis que celui-ci existe ? A
dire vrai, j'ai toujours déploré de n'avoir pas pu y venir moi-même,
bien qu'étant ministre des transports. Il me fallait d'abord
apprendre, faire mes preuves. Mais j'ai compris aujourd'hui que je
devais d'abord réussir cet " examen supérieur ", celui qui donne
accès à la charge de président de la Confédération.
Le Salon n'accepte pas les conseillers fédéraux novices, ceux qui
sont encore sans expérience. Pour obtenir le " billet d'entrée ", le
permis, il faut faire un parcours sans faute. Ce système de période
probatoire est si bon que nous en avons repris la formule pour le
nouveau permis de conduire, formule que vous appuierez sans réserve,
j'en suis sûr.
Les objets de notre amour, on le sait, peuvent aussi décevoir. Et
il faut parfois payer cher pour maintenir la constance d'un élan. Les
amoureux s'habituent l'un à l'autre, le quotidien finit par avoir
raison de l'ardeur initiale et parfois, l'amoureux en vient à
s'interroger: qu'en est-il des promesses initiales de mon amour?
Revenons à l'automobile: qu'en est-il de sa promesse de "se
mouvoir toute seule"?
Trois "moteurs pour l'automobile
Les amoureux de l'automobile s'aperçoivent, à bien y regarder, que
cette supposée capacité de l'automobile " à se mouvoir d'elle-même "
est illusoire et que notre véhicule est condamné à faire du surplace
sans ces trois "moteurs " que sont :
1. les routes,   
   2. l'essence,    
   3. le conducteur.
Ces trois moteurs sont précisément au cœur du débat politique
actuel :
1. Combien de routes, de tunnels et de galeries transalpines 
      faut-il mettre à la disposition des automobilistes ? Où fixer 
      les priorités ?
2. Quel volume de matières premières peut-on s'autoriser à 
      investir dans la mobilité et à quel prix, quand on sait que les
réserves ne sont pas inépuisables? Et combien de CO2 peut-on 
      accepter qu'elles produisent ?
3. Que faisons-nous pour garantir la sécurité au volant et pour 
      éviter les accidents?
Une politique des transports durable
La politique suisse des transports entend faire respecter le
principe du développement durable aux trois niveaux que j'ai évoqués.
" Développement durable " ne veut pas dire " protection de
l'environnement ", comme on l'entend encore ici ou là. Le
développement durable s'attache à réaliser un équilibre optimal entre
trois objectifs et à trouver des solutions adaptées au cas d'espèce.
Il comporte trois volets:
1. la dimension économique (des transports);    
   2. la protection du milieu de vie naturel (face aux transports);
3. la dimension sociale, c'est-à-dire l'importance (des 
      transports) pour la société.
De combien de routes l'homme a-t-il besoin ?
Les routes sont essentielles au développement économique d'un pays
ou d'une région. Ce n'est pas un hasard si toutes les régions se
battent pour être raccordées au réseau autoroutier. Ce n'est pas un
hasard non plus si certaines d'entre elles sont même prêtes à payer
de leur poche la création de bretelles d'autoroutes. L'expérience a
prouvé en effet que les PME s'établissaient à proximité des entrées
et des sorties d'autoroutes et que l'économie de régions entières
s'en trouvait revitalisée.
85 % du transport de voyageurs et deux tiers du transport de
marchandises passent par la route. Le réseau routier est donc un
atout économique de premier ordre. La compétitivité d'une entreprise
ou d'une région, mais aussi les chances de trouver un emploi,
dépendent en partie de l'infrastructure des transports. Et
aujourd'hui, pour ne pas " rester en panne ", pour ne pas
compromettre ses chances sur le marché du travail, il faut être
mobile.
C'est pourquoi l'Etat doit réaliser les liaisons à l'intérieur du
pays et avec nos voisins ; il doit adopter une politique des
transports qui favorise le développement économique.
Nous nous y employons en Suisse en donnant la priorité à
l'achèvement du réseau autoroutier. En assurant le raccordement de
toutes les régions à ce réseau, nous remplirons aussi une des
exigences du développement durable, celle qui en constitue le volet
social, puisque nous permettrons aux régions périphériques, faibles
économiquement, d'avoir les mêmes chances que les grands centres.
Aucune partie du territoire, aucun canton, aucune région linguistique
ne sera la cinquième roue du carrosse : c'est là le fondement, le
châssis si je puis dire, de notre conception de l'Etat.
L'initiative Avanti
Certains trouvent le gouvernement trop lent et trop peu agressif
dans sa " façon de conduire ". Pour forcer le rythme, ils ont lancé
l'initiative Avanti, qui presse la berline du gouvernement et la
dépasse sur les chapeaux de roues avec force coups de klaxon. Nous
voulons nous aussi résoudre le problème des embouteillages. Les 30
millions d'heures que les automobilistes suisses passent chaque année
dans les embouteillages mettent à mal non seulement nos nerfs, mais
aussi nos finances, puisqu'elles coûtent des milliards de francs à
l'économie. Et nous voulons nous aussi un réseau autoroutier qui
fonctionne bien. Mais l'initiative Avanti a le défaut de privilégier
l'axe symbolique du Saint-Gothard, alors que les points critiques du
réseau sont et seront plus encore demain - le contournement de Zurich
et celui d'autres agglomérations. Cela n'a pas de sens de privilégier
le symbole St. Gotthard. On ne ferait que déplacer les embouteillages
ailleurs. C'est pourquoi je peux très bien concevoir qu'il y ait un
contre-projet à cette initiative, sans me fixer sur cette option et,
surtout, sans pouvoir dire encore quel en serait le contenu exact.
Nous examinons actuellement la question au sein de mon département.
Une politique environnementale des transports
Le moteur à essence produit du CO2. En Suisse, le trafic routier
motorisé est à l'origine de 35% des rejets de CO2. La loi sur le Co2
exige de la Suisse qu'elle réduise ses émissions de dioxyde de
carbone de 10 % d'ici à 2010, par rapport au niveau de 1990. Cette
exigence s'inscrit dans une stratégie internationale de lutte contre
les changements climatiques et de protection de l'environnement. Il y
va de la survie même de l'humanité ! Nous voulons que la terre reste
habitable pour l'homme. Sous l'effet du réchauffement, en effet, la
calotte glaciaire a commencé à fondre, les tempêtes se font plus
violentes, les inondations et les sécheresses s'amplifient,
détruisant la vie et faisant disparaître des espèces animales.
Le Salon de l'automobile connaît lui aussi une disparition des
espèces. Le 1er salon officiel, qui s'était ouvert en 1924, ne
s'appelait-il pas "Salon international de l'automobile et du cycle "
? Or, les deux-roues ont disparu de la circulation au Salon. Quant
aux quatre-roues, plus d'une espèce s'est éteinte : la Mustang, la
Dauphine, la Coccinelle, la Deux-chevaux, la Topolino, la
Thunderbird. Essayons au moins de sauver la Jaguar, la Lupo et la
Panda tant qu'elles existent !
La taxe sur le CO2
En 2004, si l'objectif climatique de réduction du CO2 ne peut être
atteint, la taxe sur le CO2 sera prélevée et la hausse du prix de
l'essence pourrait aller jusqu'à 50 centimes par litre. Or, jamais
les constructeurs automobiles n'ont eu des conditions aussi
favorables qu'aujourd'hui pour mettre sur le marché, sur les routes,
ces véhicules du futur qu'on nous promet depuis si longtemps : la
voiture de 1 à 3 litres aux 100 km, la voiture hybride, la voiture
électrique et, enfin, la voiture à piles à combustibles, concept
révolutionnaire. Le thème choisi pour le 71e salon n'est-il pas,
d'ailleurs, " Pleins feux sur l'innovation" ? Il ne suffit pas de
baptiser un véhicule du doux nom d'" Ambiente " pour que l'air
devienne plus propre. L'environnement ne regarde pas l'étiquette, il
est sensible à ce qui se dégage du pot d'échappement ! Il y a
longtemps que la technologie pourrait faire bien plus qu'elle ne
fait. Avec des mesures volontaires, l'industrie peut remédier au
problème des rejets de CO2.
Le plus grand facteur de risque est l'homme
La multiplication de la masse par la vitesse rend l'automobile
dangereuse pour ses occupants et pour les autres usagers de la route.
La technologie a cependant beaucoup progressé (surtout en ce qui
concerne la sécurité du conducteur et des passagers). Malgré l'énorme
augmentation de la circulation, le nombre de victimes d'accidents de
la route a constamment diminué. Mais chaque année, 1,4 million de
personnes trouvent la mort sur les routes dans le monde, plus de
60'000 en Europe et 600 en Suisse. Une statistique terrifiante. Dans
notre pays, l'actuelle révision de la législation sur la circulation
routière s'efforcera de corriger cette évolution en axant ses mesures
sur le comportement des usagers.
Il faut mettre en place une formation et des contrôles qui amènent
le conducteur à prendre conscience de ses limites et à les respecter,
afin, autant que possible, qu'il n'y ait plus d'accidents graves.
Cette " vision zéro ", le Conseil fédéral s'emploiera à l'atteindre
par quatre mesures essentiellement:
1. l'abaissement de la limite du taux d'alcoolémie à 0,5 pour
      mille, comme dans la plupart des pays de l'Union européenne et 
      le renforcement des contrôles;
2. la délivrance du permis de conduire après une période
      probatoire de trois ans;
3. une formation complémentaire, pendant cette période, pour tous
      les nouveaux conducteurs;
4. une meilleure appréciation de l'aptitude à conduire des futurs
      automobilistes : sur nos routes, nous voulons des 
      automobilistes, non des autistes mobiles !
L'automobile : un objet culturel qui ne va pas mourir
Au début de ce discours, j'ai dit que l'automobile était un objet
culturel. Le langage même le montre : en allemand, les automobiles
sont de genre masculin (der " Mercedes ", der " Renault "); en
français, elles sont de genre féminin (la Fiat; la Peugeot). Seuls
quelques symboles, mais importants, ont un genre différent dans les
deux langues. Ce sont, nous le savons tous, le soleil (die Sonne), la
lune (der Mond), l'amour (die Liebe) et l'automobile. Nous bouclons
ainsi la boucle des éléments du mouvement spontané.
Nos langues nationales ne réservent des genres différents qu'aux
seuls phénomènes fondamentaux. Et ces derniers nous occupent en
permanence. Nous connaissons tous le problème des poèmes
intraduisibles. La lune (der Mond, masculin) peut-elle symboliser la
femme adorée pour un homme de langue allemande ? De la même façon, le
soleil peut-il symboliser la bien-aimée pour un homme de langue
française ? Il y a derrière chacun de ces concepts des questions
hautement philosophiques, une psychanalyse de la langue, qui
témoignent de la vision que chaque culture a d'elle-même. Il y a un
regard existentiel qui se ramène, en somme, aux quatre éléments
autour desquels tournent toutes les civilisations de notre planète,
ces quatre " roues " qui seront là à jamais :
le soleil, la lune, l'amour et... l'automobile !

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