Ministère public de la Confédération
Speaking Note du Procureur général de la Confédération. Suite aux attentats terroristes perpétrés aux Etats-Unis
Berne (ots)
Speaking Note du Procureur général de la Confédération, Monsieur Valentin Roschacher, à l'occasion de la conférence de presse du mardi 2 octobre 2001.
Suite aux attentats terroristes perpétrés aux Etats-Unis le 11 septembre 2001: Etat de la procédure, résultats et appréciation du point de vue des autorités de poursuite pénale suisses
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre présence et de votre intérêt.
Comme vous le savez, le Ministère public de la Confédération a, en date du 15 septembre 2001, soit quatre jours après les épouvantables actes terroristes dont ont été victimes les Etats-Unis d'Amérique le 11 septembre 2001, ouvert une procédure d'enquête de police judiciaire contre inconnus, notamment pour enlèvement, prise d'otages et assassinat, crime commis à l'étranger contre des citoyens suisses et infractions commises à bord d'un aéronef, afin de faire la lumière sur les liens présumés entre des actes commis en Suisse et les attentats terroristes perpétrés aux Etats-Unis. Puis, nous avons mis sur pied, en étroite collaboration avec l'Office fédéral de la police, une cellule de crise «Task Force Terror USA», qui s'occupe de notre procédure d'enquête. Monsieur Jean-Luc Vez, directeur de l'OFP, vous renseignera tout à l'heure sur les structures et les méthodes de travail de cette cellule.
Comme toujours lorsque nous menons une enquête de police judiciaire, l'intérêt de la procédure commande de limiter fortement l'information durant les investigations. Nous ne pouvons divulguer aucun détail suscep-tible d'influencer le résultat de l'enquête. Dans ce contexte, je vous sais gré de la compréhension dont vous avez fait preuve à l'égard des «no comment» que mon chef de l'information, Hansjürg Mark Wiedmer, a opposé à nombre d'entre vous. Vous avez compris qu'il s'agissait ainsi de ne pas compromettre l'issue de la procédure.
Au cours de ces deux dernières semaines, le Ministère public de la Confédération n'était pas prêt à fournir des détails sur des traces ou sur des pistes et moins encore à donner son avis sur des noms, des entre-prises, des spéculations ou des comptes-rendus parus dans les médias. Cette réserve répondait également à la nécessité de ne pas faire de déclarations hâtives sur l'état ou sur la valeur de nos recherches. Eu égard précisément à l'immense intérêt suscité dans le public par notre procédure, nous avons préféré attendre de disposer d'une appréciation fondamentale et approfondie.
Cette appréciation a essentiellement pour objet de déterminer l'importance que revêtent les éventuels liens entre des actes commis en Suisse et les attentats terroristes perpétrés aux Etats-Unis, ainsi que de cerner le rôle que joue la procédure suisse dans le faisceau des investigations menées dans le monde entier. Une appréciation hâtive de ces questions, basée sur des détails isolés ou sur des constatations non vérifiées, n'apporterait rien à l'information, mais contribuerait à la désinformation. C'est pourquoi je vous remercie de nous avoir laissé le temps d'établir un tableau plus complet de la situation qui, aujourd'hui, nous permet de mesurer l'importance de la piste suisse et de vous livrer notre appréciation avec un certain recul par rapport aux événements.
Permettez-moi de résumer l'état actuel de nos connaissances et l'appréciation qui en découle, en relation avec la procédure d'enquête suisse.
A l'heure actuelle et en l'état de nos connaissances, aucun élément ne permet de conclure que la Suisse a joué un rôle dans la préparation des aspects logistiques des attentats terroristes commis le 11 septembre aux Etats-Unis, si ce n'est que l'un des terroristes a transité le 8 juillet dernier par l'aéroport de Zurich.
S'agissant du rôle de la place financière suisse dans le transfert de fonds en relation avec la préparation concrète de l'opération, il n'existe là encore pour l'instant aucun élément substantiel qui permettrait de conclure à une implication de notre pays. Les recherches se concentrent actuellement sur ce second aspect. Nous continuons à ne rien exclure en principe et à explorer toutes les pistes dans les limites de nos possibilités juridiques. Il ne faut cependant pas s'attendre à obtenir une appréciation exhaustive dans ce domaine à court terme. Nous partons de l'idée que nos investigations dans ce domaine complexe que sont les transactions bancaires et financières vont prendre encore beaucoup de temps. Pour nous, la durée des recherches entreprises dans le cadre de la «Task Force Terror USA» est une question non pas de jours, mais bien de semaines, voire de mois. Je sais que vous souhaitez des résultats, mais croyez-le, moi aussi! Il est cependant rare que la poursuite pénale soit très rapidement couronnée de succès. Le travail d'investigation prend généralement du temps, est une tâche fastidieuse et de longue haleine. Et nous devons l'accepter en l'occurrence également. Pourtant, nous faisons tout notre possible pour contribuer à ce que les responsables des attentats terroristes du 11 septembre, mais aussi toutes les personnes qui, de près ou de loin, directement ou indirectement, leur ont prêté assistance, soient traduits en justice.
Aspects concrets de l'enquête:
Transit M. Atta à Zurich
Mohamed Atta est arrivé en Suisse, à l'aéroport de Zurich-Kloten, le ma-tin du 8 juillet 2001, en provenance de Miami (SR 117). Il y passa quelques heures, avant de poursuivre son voyage, le même jour à midi, à bord du vol Zurich - Madrid (SR 656). A l'heure actuelle, nous ne savons pas si Mohamed Atta a quitté l'aéroport durant son séjour en Suisse. Au vu de son visa, cela aurait cependant été possible. Nos collègues espagnols ont été informés de ces faits et sont actuellement en train de poursuivre les investigations en Espagne. Nous savons que lors de son passage à Kloten, il a effectué quatre retraits d'argent à un Bancomat de l'aéroport, pour un montant total de CHF 1700.--. Nous ne disposons pour l'heure d'aucune indication quant l'utilisation de cette somme. Par ailleurs, il a été établi qu'il avait acheté deux couteaux et du chocolat (Swiss Mini Golds) au Tax & Duty Free Store de Kloten pour un montant total de CHF 56.--, somme qui a été acquittée au moyen de sa carte de crédit. Au sujet des couteaux de poche, je peux ajouter que les deux couteaux ont été retrouvés à Boston et séquestrés. Ils étaient dans les bagages de Mohamed Atta, qui sont restés à l'aéroport suite à un retard de correspondance.
Vérification des nuitées d'hôtels
Les nombreux contrôles effectués par l'ensemble des corps de police cantonaux pour le Ministère public de la Confédération n'ont fourni aucune indication quant aux nuitées des personnes mentionnées sur la liste qui nous a été transmise par les autorités américaines. Plus de 200 personnes ont fait l'objet de ces contrôles.
Al Taqwa
En ce qui concerne cette société, nous avons également procédé à diverses vérifications, comme l'avaient déjà fait la CFB et l'ancienne Police fédérale par le passé. Cependant, nous ne possédons pour l'instant aucun indice quant à la commission d'actes pénalement répréhensibles. Il n'existe actuellement aucun élément permettant de faire un lien entre les comptes d'Al Taqwa et Osama Bin Laden. Aucun compte de la société n'a jusqu'à présent été bloqué par le Ministère public de la Confédération. L'autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d'argent poursuit ses investigations auprès de cette société.
Auditions
Jusqu'à présent, une personne a été entendue par le Ministère public de la Confédération. Cette personne s'est annoncée de son propre chef auprès du Ministère public de la Confédération. Pour des raisons tactiques, je ne saurais pour l'instant vous donner de plus amples informations au sujet du contenu de l'audition ou de la personne interrogée. Jusqu'ici aucune arrestation n'a eu lieu.
Renseignements fournis par la population
Pour l'heure, plusieurs centaines de renseignements nous sont parvenus. La plupart nous ont été transmis durant les premiers jours qui ont suivis les attentats perpétrés aux Etats-Unis. La majeure partie des in-formations a déjà pu être examinée, c'est-à-dire vérifiée. Quotidiennement, de nouveaux renseignements nous parviennent, qui sont également constamment vérifiés.
Blocage de comptes
Par ordonnance du 19 septembre 2001, le Ministère public de la Confédération a bloqué un compte auprès d'une banque de Zurich et a requis la production de la documentation y relative. L'analyse du compte, des ayants droit et des documents concernant les opérations effectuées n'a pas permis de confirmer les soupçons initiaux. Le blocage du compte sera levé aujourd'hui. La décision est en ce moment sur le chemin de la banque.
Communication d'instituts financiers au MROS
Sur la base de divers soupçons, qui ont été communiqués par des ban-ques au MROS conformément à l'art. 9 LBA, 15 comptes ouverts auprès de 4 établissements bancaires ont été bloqués provisoirement. Avant l'expiration du délai de blocage légal de 5 jours ouvrables, les comptes annoncés au Ministère public de la Confédération par le MROS ont été analysés et débloqués par le Ministère public de la Confédération en rai-son de l'absence de présomptions suffisantes justifiant le maintien du blocage des comptes.Un nouveau compte sera bloqué aujourd'hui suite à des soupçons communiqués au MROS en vertu de l'art. 9 LBA et dé-noncés au Ministère public de la Confédération.
Mesdames et Messieurs, permettez-moi ici une mise au point qui a son importance. Les médias internationaux ont tendance à considérer la procédure d'enquête du Ministère public de la Confédération comme un test sur la manière dont la Suisse dans son ensemble traite des avoirs liés au terrorisme, ou présumés tels, qui auraient transité par sa place financière. Bien que compréhensible, cette tendance traduit pourtant une méconnaissance crasse des tâches, du rôle et des compétences des différentes autorités fédérales dans les domaines de la poursuite pénale, de l'entraide judiciaire, de la protection de l'Etat, de la surveillance des banques, etc. La procédure d'enquête de police judiciaire ouverte par le Ministère public de la Confédération ne constitue que l'un des maillons de la chaîne des efforts entrepris à la suite des attentats du 11 septembre. Les spécialistes des Départements des finances et des affaires étrangères, ici présents, vous informeront des efforts entrepris, avant le 11 septembre déjà, et poursuivis aujourd'hui, en dehors de notre procédure d'enquête, en relation avec les critiques internationales émises à l'encontre de la Suisse, selon lesquelles celle-ci pourrait servir de plaque tournante financière aux avoirs liés au terrorisme.
En ma qualité de premier artisan de la poursuite pénale à l'échelon de la Confédération, je tiens à rappeler une fois pour toutes que le secret bancaire ne constitue en rien - je dis bien en rien - un problème pour la poursuite pénale en Suisse. Pour l'artisan de la poursuite pénale que je suis, le secret bancaire n'existe pas. Un soupçon fondé permet de bloquer n'importe quel compte en Suisse et l'intégralité des documents utiles aux enquêtes pénales sont à la disposition des autorités suisses de poursuite pénale, mais aussi d'autorités étrangères de poursuite pénale en cas d'entraide judiciaire. Dès le départ, les banques ont assuré le Mi-nistère public de la Confédération de leur plein appui dans ses recherches. Dans nos investigations, nous ne rencontrons aucun problème de coopération avec les banques suisses. J'aimerais d'ailleurs saisir cette occasion pour les en remercier.
Les problèmes se situent à un autre échelon, plus précisément à celui de la collaboration internationale. En matière de poursuite pénale, les simples présomptions de liens avec le terrorisme ne suffisent pas. Les autorités de poursuite pénale travaillent sur la base de soupçons suffisants. A cet effet, nous devons dans tous les cas disposer d'un faisceau suffisant d'indices concrets concernant des atteintes ou des liens relevant du droit pénal. Des autorités étrangères de poursuite pénale, nous attendons également des indices concrets et substantiels pour être en mesure d'accomplir avec succès nos tâches dans le cadre de notre procédure suisse. Dans ce contexte, je puis vous annoncer que le Ministère public de la Confédération est sur le point de présenter une demande d'entraide judiciaire aux Etats-Unis d'Amérique. La demande d'entraide est prête et sera transmise cette semaine encore au Department of Justice, par la voie officielle. Nous envisageons également de rendre visite à nos collègues américains aux Etats-Unis afin que l'échange d'informations dans l'intérêt de la coopération mondiale en matière de poursuite pénale pour élucider les crimes du 11 septembre puisse se dérouler de façon encore plus rapide, plus efficace et mieux ciblée.
Dans ce contexte, j'aimerais souligner que je n'ai aucune compréhension pour les médias internationaux qui reprochent aux autorités suisses une attitude dilatoire dans l'élucidation des crimes du 11 septembre. Au nom des autorités de poursuite pénale de la Confédération et des cantons, qui nous ont assistés de manière compétente, je rejette catégoriquement cette accusation. C'est le contraire qui est vrai. Après le 11 septembre, nous ne sommes pas restés dans l'expectative: dès l'annonce officielle que des ressortissants suisses figuraient parmi les victimes, nous avons immédiatement ouvert une procédure, au sens de l'art. 5 CP, afin d'offrir rapidement et avec détermination notre contribution à l'élucidation des crimes perpétrés le 11 septembre à New York, Washington et Pittsburgh. Nous avons saisi chaque occasion pour réitérer notre pleine disponibilité à coopérer à l'échelon international et proposé notre collaboration en tout temps.
Dans ces conditions, ce n'est certainement pas rendre service à la lutte mondiale contre les activités terroristes que de pointer un doigt plus ou moins accusateur sur la Suisse en la soupçonnant de favoriser les menées terroristes, alors que dans le même temps, nous n'obtenons pas, ou de manière incomplète, les informations utiles pour accomplir notre travail en tant qu'autorités de poursuite pénale suisses et traduire en justice d'éventuels auteurs d'infractions. Ces crimes ne peuvent être éluci-dés que par une action commune de la police et des autorités de poursuite pénale de divers pays. La police et les autorités de poursuite pénale de tous les pays tirent à la même corde et dans la même direction. Nous travaillons main dans la main. Et notre objectif commun est de traduire en justice les auteurs des attentats. Les autorités suisses de poursuite pénale sont prêtes à fournir leur contribution à la coopération inter-nationale et mondiale dans ce domaine. Nous ne voulons pas surestimer notre rôle. En effet, la Suisse n'ayant, selon nos constatations, joué aucun rôle majeur dans la préparation des attentats du 11 septembre, les autorités suisses de poursuite pénale n'assumeront pas non plus de fonction-clé dans la lutte mondiale contre les auteurs des lâches attentats perpétrés aux Etats-Unis. Mais nous tenons notre place et fournissons, avec les moyens dont dispose la poursuite pénale en Suisse, la contribution la meilleure possible pour que les responsables des atten-tats et tous ceux qui, directement ou indirectement, les ont soutenus, soient amenés à rendre compte de leurs actes devant les tribunaux.
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