Communiqué de presse
EDI: Conférence des Ambassadeurs 2003
Le rôle du Président de la Confédération
en politique étrangère
2003-08-27T15:28:39
Berne (ots) - Mesdames et Messieurs, J'aimerais profiter de cette conférence pour réfléchir avec vous sur
le rôle du Président de la Confédération en politique étrangère.
D'une manière générale, soulignons tout d'abord que c'est au Conseil
fédéral de conduire la politique étrangère. Il en a notamment fixé
le cadre actuel dans le Rapport sur la politique extérieure du
Conseil fédéral 2000. Bien sûr, il appartient au Chef du DFAE et aux
diplomates de gérer et de coordonner les affaires étrangères au
quotidien. Sans le soutien du DFAE, l'action du Conseil fédéral et
du Président sur le front extérieur serait impossible. Je tiens à
remercier Mme Calmy-Rey de son appui ainsi que vous tous de votre
aimable et efficiente collaboration. Dans ce cadre, quel peut et quel doit être le rôle du Président de
la Confédération ? La réflexion sur son rôle dans les relations
extérieures n'est pas nouvelle. Depuis la naissance de la
Confédération, la diplomatie présidentielle helvétique s'est, bon
gré mal gré, adaptée aux évolutions des relations internationales. Permettez-moi de m'étendre un instant sur le passé. Les Suisses
aiment les approches basées sur les expériences du passé. De 1848
jusqu'en 1914 (à l'exception de la période 1888 à 1895), la
direction du Département politique fédéral est liée à la présidence
de la Confédération. Le titulaire du Département politique change donc chaque année. La
responsabilité de la politique extérieure est ainsi confiée à
l'ensemble du gouvernement et personnifiée par le Président de la
Confédération. Au regard de la complexité croissante des relations internationales
au début du XXème siècle, cette pratique se modifie. En 1914, au
terme de son mandat présidentiel, le Conseiller fédéral Arthur
Hoffmann resta à la tête du Département politique. Pendant toutes ces années, le Président de la Confédération mais
aussi les autres Conseillers fédéraux ne se rendent que rarement à
l'étranger. En janvier et en décembre 1919, le Président de la
Confédération et chef du DFI Gustave Ador se rend à Paris et à
Bruxelles mais en "voyage privé"! Gustave Ador déclara d'ailleurs à
ce propos: "J'espère que les membres du gouvernement fédéral sortent
à l'avenir de leur splendide isolement de jadis et entretiennent
avec les membres des autres gouvernements les relations personnelles
qui peuvent faire beaucoup de bien à nos rapports internationaux". Il faudra attendre les années 50 pour que les Présidents de la
Confédération sortent à nouveau des frontières. Ce n'est qu'en 1956
qu'un autre Président de la Confédération s'aventure officiellement
à l'étranger : Markus Feldmann, chef du DFJP, se rend à Milan pour
le 50ème anniversaire de l'ouverture du tunnel du Simplon ! Dès 1970, plusieurs voyages de Présidents de la Confédération sont
organisés pour participer à des réunions internationales et dès les
années 90, les voyages présidentiels se multiplient et se
banalisent. A la fin des années 90, un conseiller diplomatique est
systématiquement détaché auprès du Président par le DFAE. La fonction de Président dans le domaine de la politique étrangère
s'est donc modifiée sous l'effet d'une intensification des contacts
internationaux. Les défis qui se présentent aujourd'hui à la
communauté internationale sont caractérisés par leur nature
transnationale et multidimensionnelle. Les échanges commerciaux, la
protection de l'environnement, les flux financiers, les migrations,
les relations scientifiques et culturelles se sont globalisés. Le Président, mais d'une manière générale tous les conseillers
fédéraux sont aujourd'hui actifs sur le plan international. Les
déplacements, les réunions et les sommets multilatéraux se
multiplient. La fréquence des contacts au niveau des chefs d'Etat ou
de chefs de gouvernement s'accélère. Imaginons un instant que la Suisse soit membre de l'UE : le
Président de la Confédération qui fait aujourd'hui un petit nombre
de voyages à l'étranger, serait obligé de passer beaucoup plus de
temps en dehors des frontières ! Il n'est aujourd'hui plus pensable que le Président suisse refuse de
participer à un événement international d'envergure et néglige des
possibilités de contacts. Lors du la Conférence européenne d'Athènes, par exemple, j'ai eu
l'occasion de remercier le Premier Ministre et le Ministre de
finances grecs pour leur engagement dans le cadre des Bilatérales
II. J'ai eu également la possibilité d'aborder notre dossier
européen avec d'autres Chefs d'Etat. Au déjeuner informel de ce même
Sommet, j'ai pu discuter avec M. Prodi des perspectives européennes,
dont celles de la Suisse, et de l'influence croissante de la Chine
dans le cadre du développement économique en Europe. Ces contacts
bilatéraux sont d'autant plus importants que nous ne sommes pas
membre de l'UE. Pour défendre ses intérêts, un Etat moderne se doit d'accorder une
place toujours plus grande aux contacts entre les Etats, aux
rencontres personnelles. Si l'action du corps diplomatique est
irremplaçable, il arrive qu'une relation personnelle appuie l'action
de fond qui est la vôtre. Cette année, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux Chefs
d'Etat et de gouvernement européens. Les entretiens que j'ai eus
avec le Président Chirac ou le Chancelier Schröder créent, je
l'espère, un climat favorable pour la défense de nos intérêts avec
ces deux pays. Finalement, ces contacts donnent à des préoccupations
souvent abstraites un visage, certes changeant car notre système le
veut ainsi, mais un visage qui apporte une dimension humaine aux
relations bilatérales. Dans ce contexte, très différent de celui du début du siècle
dernier, la Suisse est quelque peu pénalisée dans ses moyens
d'action en politique étrangère : elle n'a pas vraiment les
possibilités de jouer à fond et sur la durée la carte de la
diplomatie présidentielle. Avec les particularités de son système de
gouvernement, les contacts personnels que le Président de la
Confédération noue en l'espace d'une année - en Suisse ou lors de
ses déplacements de plus en plus nombreux à l'étranger - restent
malheureusement éphémères. Cette discontinuité dans la fonction présidentielle suisse ne
facilite donc guère une dynamique de dialogue à moyen et long terme
au plus haut niveau. Un chef d'Etat ou de gouvernement étranger se
retrouvant à intervalles réguliers face à un interlocuteur suisse
différent. Certes, la politique étrangère suisse est définie par le Conseil
fédéral et coordonnée par le DFAE. Certes, la collaboration et la
synergie entre le DFAE et la Présidence sont excellentes. Mais ceci
contraste souvent avec les responsabilités de nombre de chefs d'Etat
ou de gouvernement qui considèrent la politique étrangère comme un
domaine sinon réservé du moins préférentiel et en assurent la
continuité. La question qui se pose dès lors est de savoir si l'on
considère le système présidentiel actuel comme satisfaisant car il
correspond fondamentalement aux murs helvétiques; ou s'il
conviendrait de l'aménager afin de mieux "exploiter" la fonction
présidentielle. Si tel devait être le cas, on pourrait imaginer
trois scénarii. Premièrement, on pourrait songer à la prolongation du mandat du
Président de la Confédération à deux, trois voire quatre années.
Mais alors, on courrait le risque que certains Conseillers fédéraux
n'accèdent jamais à la fonction suprême et que le Président prenne
un ascendant non désiré sur ses pairs. Deuxièmement, on pourrait revenir au système précédent : maintenir
le principe de la rotation annuelle de la fonction présidentielle et
attribuer la direction du DFAE au Président de la Confédération.
Cette solution aurait l'avantage de concilier présidence,
représentation de la Suisse à l'étranger et politique étrangère mais
ne résoudrait pas la question de la continuité des relations nouées
ni celle de la continuité de la fonction de ministre des affaires
étrangères d'ailleurs. Ce modèle ferait disparaître la fonction de
Ministre des affaires étrangères, qui a toute son utilité, comme on
a pu le voir récemment en Italie. De plus, cette solution
provoquerait au DFAE une instabilité permanente dans sa direction en
raison du changement continu de son chef. Troisièmement, on pourrait prolonger le mandat du Président de la
Confédération à quatre années tout en lui confiant en permanence la
responsabilité du DFAE. C'est en effet aux affaires étrangères
plutôt que dans les autres départements - même si ces derniers ont
aussi une composante extérieure - que la fonction présidentielle
peut apporter la plus grande valeur ajoutée. La continuité des contacts avec les interlocuteurs étrangers serait
assurée, la stabilité de la représentation des affaires étrangères
et de la direction du DFAE le serait aussi et la coordination de la
politique étrangère serait renforcée. En revanche, ce modèle ne résout pas la question de l'équilibre des
forces entre les partis et les régions linguistiques au sein du
Conseil fédéral. De plus, elle dévaloriserait de facto le poids du
DFE et donc des relations économiques extérieures, composante
essentielle des intérêts de la Suisse. A cela s'ajoute le fait que le Président de la Confédération
"nouvelle formule" verrait sa fonction de quasi-chef de l'Etat
renforcée, sans avoir de véritables compétences substantielles
supplémentaires en matière de "policy making" ou de budget. Quel que soit le scénario qui pourrait être retenu - pour autant que
l'on décide de rénover le système actuel - il impliquerait
nécessairement une transformation de la fonction présidentielle et
accorderait à son titulaire un ascendant par rapport à ses pairs. Le Président ne serait plus "primus inter pares" mais "primus" tout
court. Or, une telle innovation bouleverserait notre système
politique à forte composante consensuelle et collégiale. De
surcroît, il pourrait ne pas recueillir les faveurs de nombreux
Suisses qui sont étroitement attachés au caractère sinon
"égalitaire" du moins non personnalisé du système politique suisse. On pourrait bien sûr songer à une solution moins ambitieuse : la
création d'un cabinet diplomatique de quelques diplomates attachés
pour plusieurs années à la fonction présidentielle et non à un seul
président. Cette solution permettrait de ne pas perdre les contacts
acquis au cours des années avec les cabinets des chefs d'Etat et de
gouvernement étrangers. Sans véritablement résoudre les problèmes
évoqués plus haut, cette solution améliorerait certainement la
cohérence et la continuité de notre diplomatie présidentielle. On
pourrait, par exemple, mieux planifier le choix des visites d'Etat
sur la durée. Au cours de l'histoire de l'Etat fédéral, la marge de manuvre du
Président de la Confédération en politique étrangère s'est amplifiée
sous la pression de l'extérieur. L'évolution des relations
internationales a poussé la Suisse à s'adapter à son environnement
international. Je suis persuadé que la défense de nos intérêts passe
par une présence forte sur le front extérieur. Dans un monde qui n'a plus grand chose à voir avec celui de 1914,
date du dernier changement de système, je ne suis pas sûr que notre
conception de la diplomatie présidentielle soit encore adaptée à
notre environnement international et qu'elle soit à même de défendre
au mieux nos intérêts.
Permalink:
https://www.presseportal.ch/fr/pm/100000042/100466123
|
|