Communiqué de presse
Interview du Conseiller fédéral Pascal Couchepin sur Internet
2004-10-07T10:51:17
(ots) - Ces derniers jours le Département fédéral de l'intérieur a
reçu de nombreuses réactions suite aux interviews du Conseiller
fédéral Pascal Couchepin publiées dans la presse dominicale du 3
octobre 2004. L'interview parue dans la NZZ am Sonntag a été
traduite en français. Les deux textes (la version originale
allemande et la traduction française, voire ci-dessous) sont
disponibles sur le site Internet du DFI (www.edi.admin.ch). Interview avec le Conseiller fédéral Pascal Couchepin NZZ am Sonntag: Le Conseil fédéral s'est donc penché une nouvelle
fois, dans la séance de vendredi, sur ses tensions internes. Pascal
Couchepin: Non, et d'ailleurs un tel exercice ne mène à rien. Voilà
qui nous surprend. Des discussions sur ce thème ont pourtant déjà eu
lieu par le passé. J'ai pour habitude de ne pas prendre part à ce
rite. Le peuple suisse a élu ses autorités, en optant pour une
polarisation accrue. Le Parlement a décidé de prendre en compte
cette réalité et de désigner un second conseiller fédéral UDC. La
Constitution prévoit qu'un conseiller fédéral est élu pour quatre
ans. On peut le regretter, mais cela ne change rien: nous devons
travailler ensemble. La manière dont Christoph Blocher exerce ses
fonctions est pourtant un thème dominant au Palais fédéral. De temps
en temps, on peut dire que l'on n'est pas d'accord avec l'attitude
d'un conseiller fédéral, mais on ne saurait l'obliger à faire ce
qu'il ne veut pas. Cela vaut aussi pour Blocher. Blocher se veut
l'interprète de la volonté populaire. Dimanche, il a déclaré: quand
le peuple a tranché, le Gouvernement doit se taire. Le peuple a le
dernier mot, cela va de soi. Mais dans sa sagesse, et sous la
houlette des radicaux, le peuple a aussi décidé que le pouvoir
devait être partagé en Suisse. La majorité populaire n'est pas tout.
Le peuple a aussi voulu qu'en certains cas, la majorité des cantons
l'emporte sur la majorité populaire. Il a limité son pouvoir de
telle façon qu'il ne peut dissoudre le Parlement. Et, dans sa
sagesse, il a décidé que ce n'était pas lui, mais le Parlement qui
élisait les conseillers fédéraux. Mais le peuple reste quand même le
Souverain. Mais pas dans le sens d'un monarque absolu. Ce fut un
acte de grande sagesse que le peuple fixât des limites à son propre
pouvoir. Car le peuple sait que la domination de la majorité seule
comporte des dangers. En particulier dans un pays où il y a des
minorités à protéger. Blocher voit-il les choses de manière
différente ? Il répète sans cesse que le peuple est le Souverain.
Mais c'est faux: le peuple est la source du pouvoir. Il a le dernier
mot. Mais entre les élections, les autres pouvoirs de l'Etat sont
aussi appelés à exercer leurs responsabilités. J'ai parfois
l'impression que certains membres de l'UDC croient que le
gouvernement doit pactiser directement avec le peuple. En faisant fi
des compétences du Parlement. De telles idées ne sont pas nouvelles
dans l'histoire, et elles sont très dangereuses. Blocher soutient
que le Gouvernement ne devrait pas défendre ses projets. Les
conseillers fédéraux ne sont pas des eunuques politiques. Le Conseil
fédéral est élu pour quatre ans: durant ce laps de temps, il doit
mettre en uvre sa politique. Et cela n'est possible que s'il peut
défendre ses projets. Blocher vous adresse, par voie détournée, le
reproche à vous et à Moritz Leuenberger, de refuser la volonté du
peuple, si vous commentez le résultat des votations. Jamais un
conseiller fédéral radical n'a méprisé la volonté populaire. Le
respect du peuple est inscrit dans nos gènes. Mais la Constitution
fédérale prévoit une division du pouvoir entre le peuple et les
institutions. Nous sommes convaincus ( les radicaux) que le peuple
ne doit pas être un dictateur. C'est pourquoi on n'a pas besoin de
se taire quand il a parlé. Qu'est ce qui fait problème dans la
conception du peuple que soutient Blocher ? Les masses sont
manipulables si l'on fait appel à leurs seules émotions. Sans
contrepoids, cela peut être dangereux. Le parti le plus fort
pourrait diriger seul l'Etat en tablant sur les émotions du peuple.
Il y a là un grand risque. Vous avez donc peur de la démocratie
directe ? La démocratie directe est certes le meilleur des systèmes,
mais des freins sont nécessaires. Nous, les libéraux, avons toujours
éprouvé de la crainte devant une politique guidée par les seules
émotions. Il faut empêcher que des décisions prises sous l'empire
des émotions entraînent des conséquences trop graves. L'alliance
entre un dirigeant charismatique et un peuple manipulé par lui est
étrangère à notre conception de la politique; c'est celle des
dictatures. Dictatures ? Je suis en train de lire un ouvrage sur le
national-socialisme et le communisme. Cet ouvrage montre que les
deux partis totalitaires n'étaient pas impopulaires. Ils étaient
même très populaires. Mais la catastrophe survint parce que ces
systèmes ne connaissaient pas de limites. Leurs " Führer " pouvaient
jouer avec les émotions des masses sans retenue. Voulez-vous dire
par là que Blocher, en " magnifiant " le peuple... ...en le
mythifiant... ... met en péril la démocratie ? Oui, je crois que
l'attitude de Christoph Blocher est dangereuse pour notre
démocratie. J'ose croire que des comportements comme celui du
dimanche soir des votations ne seront que passagers. Mais si un
parti important adopte la même attitude, nous devons la combattre.
Cette tendance ( à tabler sur les seules émotions du peuple) que
vous considérez comme dangereuse, se renforce-t-elle ? Oui. L'UDC
joue de plus en plus fortement avec les émotions du peuple. Elle
considère le peuple comme une masse manipulable. Elle en fait son
miel. Il y a peu de temps, l'un de ses dirigeants a déclaré que
l'UDC n'était pas un parti, mais un mouvement. Voilà une réflexion
typique ! L'histoire a déjà connu des mouvements. Un parti, c'est
une organisation rationnelle, qui défend une conception de la
politique et qui se confronte à d'autres conceptions. Un mouvement,
au contraire, veut atteindre ses buts en séduisant les masses par
les émotions. D'un point de vue historique, les mouvements ont
tendance à glisser vers le totalitarisme. PC. Ils sont certainement
plus éloignés de la démocratie que les partis classiques. C'est là
un constat peu réjouissant. Que faire ? D'abord, je suis convaincu
que mon opinion est partagée par nombre de membres de l'UDC. C'est
avec eux que l'on doit poursuivre le dialogue démocratique. La
question essentielle est celle-ci: l'UDC ne respecte-t-elle que la
souveraineté populaire, ou accepte-t-elle encore les limites
apportées à cette souveraineté dans notre système ? Celles, par
exemple, qui sont posées afin de protéger les minorités. Celles
tirées du pouvoir du Conseil national ? Du Conseil des Etats ? Du
système de " checks and balances " entre les deux Chambres. Celles
tirées des attributions du Gouvernement... ...et de l'indépendance
des tribunaux. Oui, aussi de l'indépendance des tribunaux. La
question est très actuelle. Nous devons travailler à convaincre
encore plus les gens de la justesse qu'il y a à limiter le pouvoir
du peuple. Nous devons comprendre que la démocratie ne peut se
confondre avec la domination des masses guidées par les émotions.
Mais c'est un fait que l'UDC gagne avec une telle politique. L'UDC
progresse depuis 10 ans. Mais cet Etat existe depuis plus de 150
ans. Vous êtes donc optimiste, la vague UDC va bientôt retomber ? Je
crois en la raison humaine. Voilà 40 ans que je fais de la
politique. A la fois dans un canton où les radicaux sont
minoritaires depuis 150 ans, et dans un Etat fédéral où ils sont au
Gouvernement depuis 150 ans ! J'ai confiance dans le long terme.
Vous espérez donc que l'UDC va perdre tellement d'électeurs que
Blocher devra se retirer ? PC. Cela n'est pas si simple. J'espère
aussi qu'à l'intérieur de l'UDC les personnes qui partagent mon
point de vue gagneront du terrain et s'engageront pour préserver
notre démocratie. Blocher partage-t-il les conceptions démocratiques
qui imprègnent la Suisse ? J'ai une autre vision philosophique que
celle de Monsieur Blocher. Et je suis persuadé que ma vision est la
bonne, car elle se fonde sur la Constitution et sur la doctrine de
la famille politique qui a établi cette Constitution, il y a 150
ans. Blocher exerce un " job " dans un système régi par cette
Constitution. C'est un point essentiel. Vous avez déclaré sous peu
qu'il avait fallu un certain temps à Micheline Calmy-Rey pour
s'intéger au Conseil fédéral, et que l'on réussirait aussi
l'opération avec Blocher. Avez-vous changé d'avis ? Nous verrons.
Les électeurs décideront s'ils veulent récompenser Blocher pour son
attitude. Je me soumettrai à leur verdict ; je mènerai le combat ces
quatre prochaines années. Monsieur Blocher doit-il adopter une
position de réserve lors de la campagne sur les Bilatérales II ? Je
ne suis pas en mesure de l'influencer. Parce que c'est inutile. Oui.
L'ensemble du Conseil fédéral doit défendre son opinion. Celui qui
est collégial et qui croit en nos institutions, le fait. C'est
incroyable : nous interviewons Pascal Couchepin, et nous ne parlons
que de Blocher. Cette danse médiatique autour de votre collègue vous
agace-t-elle ? Oui. Mais le fait que Blocher soit si fortement
présent dans les médias s'explique aussi par ses déclarations, le
dimanche soir des votations. Les médias lui vouent toute leur
attention. Il y a là un côté positif. Je peux ainsi présenter ma
conception de la démocratie et montrer les différences entre ma
vision philosophique et celle de Monsieur Blocher et de certains
membres de son parti. Les citoyens peuvent ainsi réfléchir à ces
questions fondamentales, ce que l'on ne fait pas d'ordinaire. Parce
que ce sont là des évidences. PC. Oui. Mais si ces questions sont
soulevées, il faut les aborder. La question cardinale est celle-ci:
les Suisses veulent-ils un système avec un contrepoids libéral, ou
un système entièrement dominé par le peuple ? Avec tous les dangers
qu'un tel système recèle ? Pour la première fois dimanche, on a pu
voir à la télévision les conflits qui existent au sein du Conseil
fédéral. En soi, cela n'est pas mauvais. L'incident va augmenter
l'intérêt pour une discussion sur la démocratie dans notre pays.
Vous avez présenté votre conception de la politique. N'est-ce-pas là
une incitation à Monsieur Blocher de faire de même, à annoncer la
couleur ? Naturellement. Je ne peux pas le forcer. Mais j'espère que
les gens lui demandent : Blocher, que veux-tu avec cet Etat ? Interview : Pascal Hollenstein et Markus Häfliger DEPARTEMENT FEDERAL DE L'INTERIEUR
Service de presse et d'information Renseignements :
Jean-Marc Crevoisier, Tel. 031 3228016
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